Nous avons convoqué une assemblée informelle des animateurs locaux : près de 50 jeunes répondirent à l’appel. Ce ne fut qu’un contact, sans fièvre doctrinaire .
Ces jeunes, pour la première fois, parlaient entre eux. Et l’on entendit une autre parole. La voix spontanée et inquiète de ceux qui avaient tenté de se réaliser eux-mêmes, avec leurs copains les plus proches.
Une voix qui ne décolle pas du sol et ne s’égare dans aucun verbiage stéréotypé. Leurs initiatives étaient parties des endroits les plus divers : foyers de jeunes, foyers ruraux, municipalités, écoles, groupes d’âge, etc. On y touchait du doigt la véritable origine de l’animation , qui ne descend pas du ciel, mais monte d’en-bas.
Les théories de l’animation et de l’action culturelle , sont en général, plaquées sur le réel de la vie collective. C’est le bulldozer de l’action culturelle qui passe et écrase la personnalité des identités des villages. Il s’agit maintenant de renverser le point de vue, et de tout reprendre dans la pluralité.
Le ton était donné, la raison d’être du forum est depuis lors de contribuer à ce que la vie culturelle “ trouve un ancrage dans le réel, plonge dans son village ou sa ville sans quoi elle flotte à la surface de la communauté humaine comme un nuage sur la plaine”.
Nous avons mis en évidence dès le début qu’il n’y a pas au monde deux communes identiques pas plus qu’il n’y a deux individus qui se ressemblent “ L’identité c’est l’incomparable”.
Dès lors la vie culturelle doit épouser la personnalité de sa commune et trouver les leviers, les réponses , les formes, les critères pour faire émerger son identité.
Le forum a établi une typologie des niveaux ( villages/Villes/ capitales) qui suppose des modalités d’action différentes compte tenu de leur échelle et de leur fonction.
De fil en aiguille, nous avons convenu que la commune était un support, une société complète à portée de main mais que c’était l’intervention des hommes qui était décisive “ on doit se demander par quels procédés faire apparaître l’identité. L’identité n’est pas un acquis, on ne peut en parler comme si c’était des fossiles, des ammonites. C’est quelque chose que nous fabriquons, c’est du vivant. De quels actes est capable un groupe humain, en fonction de quoi et pourquoi. C’est cela qui définit l’identité”
L’expérience du Journal de Larrazet , le Trait d’Union, a toujours été au cœur de la réflexion du forum. Et elle n’est pas pour rien dans le passage de témoin en 1987 à Larrazet du FORUM PERMANENT des IDENTITES COMMUNALES dont nous avons organisé la 10° édition en novembre 2015.
L'actualité de notre réflexion : Comment se réinventent les villes et les villages du monde ?
Les IDENTITES COMMUNALES ne sont rien d’autre que des discontinuités à l’intérieur de l’universel - à l’image des nations, des cultures, et des langues - dans lesquelles s’inscrivent les hommes qui touchent toujours le sol quelque part. Elles nous rappellent que l’on ne peut être partout chez soi sur la terre sans conditions et sont un garde fou contre le sentiment de toute puissance de notre époque qui entend s’affranchir de toutes les altérités ( surtout celles qui sont sur le pas de sa porte).
L’immense mérite des 36 000 communes de France est “ qu’elles descendent au plus finement de la société” comme l’a dit Henri MENDRAS. 36 000 foyers de proximité, d’implication, de créativité. Elles sont la première structure sociale à portée de main dans lesquelles s’inscrivent nos vies à l’heure où d’aucuns s’époumonent à chercher des lieux introuvables de “ démocratie participative”. Gardons plutôt à l’esprit la belle formule de Jean JAURES qui nous invite à toujours travailler “la surface de contact avec la société”.Au moment ou d’autres spéculent de manière lancinante et stérile sur “ l’émiettement communal” et vont jusqu’à malmener nos libertés municipales inaliénables. Tocqueville leur rafraîchit opportunément la mémoire “ c’est dans la commune que réside la force des peuples libres. Sans l’institution communale une nation peut se donner un gouvernement libre, elle n’a pas l’esprit de liberté”.
Autant dire que si l’on peut mutualiser opportunément les équipements collectifs et la gestion du bien commun (eau, voirie, patrimoine, numérique, petite enfance, etc) ... la commune ne saurait être une section et un faire valoir de l’intercommunalité.
Ne perdons jamais de vue que la commune - quelle que soit sa taille - est première . C’est une structure sociale , une identité collective alors que la communauté de communes n’est rien d’autre qu’un outil, une coopérative de communes à son service, et qui est en fait, sa seule raison d’être.
La décision doit toujours rester au plus près du terrain, au plus près des habitants. Là où affleure la vie et se noue le lien, le sensible, le partage, les contradictions et les conflits, l’incarné.
S’il existe une taille critique pour construire une piscine ou un gymnase, il n’y en a aucune lorsqu’il s’agit du désir, de la créativité et de l’action des hommes.L’actuelle fuite en avant parée de suffisance surplombante et gestionnaire ne doit pas détourner notre regard sur ce qui est fondamental et engage l’avenir : comment ouvrir les voies et forger les clés de l’invention de l’identité nouvelle des villages et des villes d’aujourd’hui.
Que l’on ne compte pas sur nous pour négliger les ruptures, les postures, les attentes et les imaginaires nouveaux qui bousculent aujourd’hui la formation de l’identité communale. Ce qui nous conduit à penser que ce n’est pas tant l’identité ( toujours en mouvement depuis les Sumériens) qui change de nature mais bien son MODE DE PRODUCTION. On suggère parfois que l’interconnaissance se tarit et que le lien social se dissout alors qu’ils ne font que se transformer. J P Lebrun nous met sur la bonne voie de l’invention de l’identité des villes et villages de la planète “ ce monde qui n’arrive plus à faire lien social - ou alors faudrait-il dire qui n’arrive pas encore à se re-faire autrement qu’hier lien social”. C’est l’actualité de nos réflexions et de nos échanges qui sont bien loin d’être défrichés et épuisés.
Si chaque ville ou village du monde à sa personnalité ( donc des éléments d’identité , de spécificités, une appartenance), il est essentiel de dire que l’identité ne doit rien à une introuvable ESSENCE de la commune mais au seul fait que les hommes ont travaillé chaque lieu de la terre depuis des siècles et laissé obligatoirement une empreinte, une conscience qui est leur héritage commun et singulier.
“ c’est l’homme qui marque le lieu plus que le lieu ne marque l’homme”.
C’est pourquoi si la défense des LIBERTES COMMUNALES et MUNICIPALES est aujourd’hui primordiale , la question n’est pas tant de préserver ou de défendre l’identité communale que d’écrire son avenir.
“ L’identité ce n’est pas recevoir, c’est donner”
Il ne s’agit donc en rien d’accorder un quelconque chèque en blanc à l’entité communale ( qui ne fait pas tout) mais bien à son ancrage dans le réel qui lui donne une capacité incomparable à mettre sur orbite l’IDENTITE en MARCHE dans le droit fil de l’énoncé lumineux de Félix Castan “ l’identité culturelle s’élabore à mi chemin du tout abstrait et du tout enraciné”.
Il n’est pas inutile de rendre plus explicite cette formule - sans en trahir ni la source, ni le sens - qui nous semble bien plus claire et pertinente que l’indéterminé “ agir local, penser global” à qui l’on peut faire dire ce que l’on veut.
Le “ tout abstrait” désigne, à n’en pas douter, l’esprit et la pensée des hommes.
Le “tout enraciné” rappelle que l’on touche toujours le sol quelque part :
“tout le monde est inscrit sur la liste électorale d’une commune” rappelle judicieusement Félix CASTAN.
L’ancrage communal garantit de ne pas ruser avec la réalité comme y incline trop souvent l’idéologie et la notion évanescente de territoire que l’on peut tordre et contourner à sa guise en fonction des opportunités.
L’interaction de deux pôles génère l’identité culturelle qui est le produit de l’intervention des hommes. Elle s’appuie et s’empare de la mémoire, du contexte, de toutes les données d’un lieu et déploie son identité en marche. Équation lumineuse qui donne la clé et l’horizon de toute action culturelle digne ce ce nom.
Les citations entre guillemets sont de Félix CASTAN. Elles contiennent des principes d’action qui n’ont pas pris une ride et nous inspirent chaque jour pour enrichir et prolonger l’optique des identités communales dont il est le concepteur pionnier.